Marie-Claire Bangwene Mwavita (MCBM) : Quand je suis arrivée il y a bientôt trois ans, Masisi était encore déchiré par la guerre, morcelé et occupé par divers groupes armés. Nous avons tout de suite effectué un travail de réunification, malgré les difficultés. Aujourd'hui, il y a encore d'anciens déplacés qui sont toujours dans les camps, et d'autres qui sont venus de Nyabyondo1 et Nyauboko2, lors des affrontements entre les Forces armées de la RD Congo et les combattants des FDLR. Certains déplacés ont commencé à retourner dans leurs villages d'origine, mais d'autres sont réticents à cause de la présence de déserteurs des ex groupes armés. Le retour est volontaire et on ne peut donc pas forcer ceux qui décident de rester, estimant que leur sécurité n'est pas garantie.Marie-Claire Bangwene Mwavita dans son bureau de service en territoire de Masisi
Des vaches en divagation sur la route dans la localité de Mushaki en provincedu Nord Kivu dans le Masisi en République Démocratique du Congo
SGL: L'agriculture et l'élevage ont été autrefois les secteurs clés de l'activité économique de Masisi. Aujourd'hui, il semblerait que des tensions existent entre agriculteurs et éleveurs ?
MCBM : Effectivement ce problème entre éleveurs et agriculteurs fait partie des foyers de tension que nous avons enregistrés. Les vaches en divagation broutent dans les champs des agriculteurs. Et à l'inverse, des cultivateurs s'aventurent dans des terres de pâturage des éleveurs, sans autorisation. Nous mettons en place des comités locaux permanents de conciliation, chargés de résoudre ce genre de problèmes. Ces comités sont composés de membres représentant toutes les couches de la population : la société civile, toutes les confessions religieuses, l'Agence nationale de renseignement, l'armée, la police, toutes les ethnies présentes à Masisi, dont les Pygmées, etc.
SGL: À propos des Pygmées, que prévoit votre administration pour leur intégration?
MCBM : Le territoire de Masisi à toujours fait un plaidoyer, à tous les niveaux, pour soutenir la cause des Pygmées. Le problème que vous évoquez va être examiné au sein du comité de conciliation. L'administration apprécie le rôle et le soutien des organisations privées et religieuses, mais entend aussi prendre ses responsabilités dans la prise en charge et l'intégration des Pygmées qui font partie de notre communauté. Nous parlons la même langue, la même culture. Dans les cahiers des charges que nous donnons aux organisations qui s'occupent des Pygmées, nous sommes donc prêts à appuyer toutes les initiatives visant à l'intégration de cette partie de la communauté. Malheureusement les écoliers qui ont fini l'école primaire n'ont pas d'écoles secondaires. Ce problème nous préoccupe beaucoup et nous en discutons avec nos partenaires des organisations humanitaires. Pour nous, l'idéal serait que les enfants pygmées intègrent et fréquentent les mêmes écoles que les élèves des autres communautés. Faire des écoles uniquement pour les Pygmées ne ferait qu'accentuer l'exclusion. Dès lors qu'on parle d'intégration, il faut construire des établissements scolaires pour accueillir les enfants de toutes les communautés vivant dans le territoire.
Un éleveur de Mushaki discute avec un nouveau éleveur client qui cherche à acheter ses vaches
Vue panoramique de la localité de Mushaki jadis base de la rébellion aujourd'hui l'espoir renaît.
SGL: Pour sortir de son enclavement, Masisi manque de radios et n'a pas de journaux. Comment faites-vous pour informer et communiquer avec vos administrés ?
MCBM: Nous avons reçu un émetteur radio télévision offert par le Chef de l'État qui va couvrir le territoire et ses environs. L'installation est finie, mais il nous faut du carburant pour commencer à émettre sans interruption. Cela dit, nous ne sommes pas totalement enclavés sur le plan de l'information, car nous avons une radio à Masisi Centre, qui arrose une zone de 40 km2. Et d'autres petites radios qui informent les populations. Nous sommes conscients qu'avec des émissions responsables, les professionnels des médias vont bien jouer leur rôle d'information des populations.
SGL: Quel bilan tirez-vous de ces trois années à la tête de ce territoire ?
MCBM: J'ai trouvé le territoire déchiré, mais aujourd'hui nous pouvons être fiers du processus de réunification. Masisi renaît petit à petit de la guerre. Il reste à résoudre l'épineux problème de la police parallèle et je lance un appel aux autorités de la République pour résoudre cette question. Parmi nos préoccupations actuelles, il y a la question des déplacés qui sont encore dans les camps. Nous nous battons pour sécuriser totalement leurs milieux d'origine, afin de leur permettre de rentrer chez eux et reprendre paisiblement leurs activités agricoles ou d'élevage. Nous avons fait un long chemin, mais il reste encore beaucoup à faire, surtout en cette période préélectorale, pour que Masisi ne soit plus considéré comme une zone rouge sur la carte de notre pays.
Propos recueillis par Alain Wandimoyi