Bernadette Bora satisfaite: "Je suis arrivée au bout de ma souffrance"
Aujourd'hui solide menuisière professionnelle, Bernadette Bora, 21 ans, fait vivre sa famille après dix ans d'errance dans les rues où elle a vécu le pire. Un modèle de réintégration pour tous les enfants en rupture familiale.
"En une année de dur labeur, j'ai eu une boutique et deux vélos que je mets en location et qui me rapportent quotidiennement de l'argent pour la ration de ma famille que je prends désormais en charge", explique Bernadette Bora, 21 ans, fière de sa réussite. Car elle revient de loin.
Auparavant, pendant une dizaine d'années, elle a vécu dans la rue après que son père l'ait abandonnée. Aujourd'hui, cette jeune femme, à l'allure sportive et aux biceps développés, est menuisière : "Après une année de formation, je travaille dans des chantiers, puisque je déteste les caprices des clients pour de petits contrats de meubles dans des ateliers. Je trouve des contrats rapportant plus au moins 10 $ par jour, ce qui me permet de subvenir à mes besoins vitaux ainsi que pour ma mère et mes frères."
Son dynamisme étonne ceux qui la rencontrent en action : "Une fille dans un chantier avec des hommes ! Elle m'a étonnée et fait la fierté des femmes. Lorsqu'une société de communication installait une de ses antennes dans mon quartier, j'ai découvert le courage de cette fille rejetée par son père", confirme une ménagère du quartier Himbi, à l'ouest de Goma. Bora, elle, encourage à présent les jeunes en difficultés à faire comme elle : "Je dis à tous ceux qui ont traversé ou ceux qui traversent encore la même situation, que chaque chose a son temps. Malgré les difficultés, ne perdons pas espoir. Qu'ils persévèrent et se recherchent autrement, car il existe plusieurs atouts qu'on peut exploiter."
Bernadette Bora en pleine action dans un chantier
Crédit photo Odette
"Une grande colère me suffoquait"
Elle-même peut leur raconter ce qu'elle a vécu pour le prouver. "Mon père nous a abandonnés, mes frères et moi, en 1994, lors d'un conflit tribal. Étant donné que ma mère est de l'ethnie Hutu et lui un Hunde, il est parti épouser une autre femme de sa tribu. Depuis lors, poursuit-elle, la vie est devenue un calvaire pour moi. Je suis allée dans la rue comme un papillon. Je suis allée en Ouganda sans succès. Je suis rentrée à Goma. J'ai circulé dans plusieurs quartiers, là aussi sans succès."
Pour panser ses blessures internes, elle se passionne pour le sport : "Quand ces soucis me revenaient à l'esprit, une grande colère me suffoquait. Pour la chasser, je me soulageais dans le karaté et le football." Avant d'être inscrite dans le centre New hope center appuyé par le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) dans son programme YEP (Youth Education Pack), elle a tout fait pour survivre. "Bora est une fille que nous avons récupérée dans la rue. Elle était exploitée dans les bars comme serveuse ou comme prostituée", affirme sous anonymat un encadreur. "Nous avons vécu des moments très durs de désespoir. Nous vivions comme des animaux, sans mesurer les risques", regrette Bora.
"Je suis arrivée au bout de ma souffrance"
A plusieurs reprises, elle a failli quitter le centre : "Lorsque je me souvenais des causes qui avaient fait que notre père nous rejette, tout de suite je voulais quitter le centre. Mais, grâce aux conseils du directeur, je revenais sur ma décision. Aujourd'hui, je vis grâce à mon travail." Peu instruite lors de son arrivée au New hope center -"Mon père nous avait abandonnés lorsque j'avais une dizaine d'années. Je ne savais alors ni lire ni écrire", raconte-t-elle - elle a, grâce aux conseils des éducateurs du centre, suivi un an de programme d'alphabétisation. En même temps, elle a fait l'apprentissage de son futur métier : "Elle a choisi la menuiserie. En 2010, elle a terminé sa formation. Aujourd'hui elle gagne sa vie normalement", indique Albert Sewa, formateur au centre.
Bernadette vit avec sa mère et ses frères, mais elle a l'ambition d’aller plus loin dans son métier : "Je suis arrivée au bout de ma souffrance. Je suis maintenant sollicitée dans les chantiers à Butembo, mais je préfère aller Uvira où on me demande aussi."
Alain Wandimoyi
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