L'irresponsabilité des auteurs de grossesse et la dureté de certains parents poussent des jeunes femmes à l'avortement clandestin voire à l'infanticide. La loi congolaise considère ces actes comme des crimes, mais dans les faits elle ne s'applique pas faute de moyens pour identifier leurs auteurs. Reportage à Goma.
"Une femme est venue ici avec des contractions. Nous l'avons assistée après son accouchement d'un bébé prématuré, mais elle a disparu dans la nature et nous ne l'avons jamais revue", raconte Daniel Chamungu, infirmier au centre de santé Konde à Goma, la capitale du Nord-Kivu. "Je tente de sauver cette enfant avec les moyens du bord, car ici nous n'avons pas de couveuse. En attendant qu'elle soit admise à l'hôpital, j'utilise des couvertures pour lui donner un peu de chaleur.", poursuit-il. Depuis ce témoignage, la petite fille a été transférée dans un grand hôpital de la place où elle est suivie par des médecins.
De plus en plus fréquents, les abandons d'enfants ternissent l'image du pays, de même que les avortements clandestins et les infanticides, considérés comme des crimes en RDC. Selon l'article 16 de la Constitution, "La personne humaine est sacrée. L'État a l'obligation de la respecter et de la protéger. Toute personne a droit à la vie, à l'intégrité physique ainsi qu'au libre développement de sa personnalité dans le respect de la loi, de l'ordre public, du droit d'autrui et de bonnes mœurs..."
Responsabilité partagée
Cependant la responsabilité de ces actes est partagée. La pauvreté pousse certaines filles, comme Ange, à la prostitution et les expose à des grossesses non désirées. "On n'a pas le choix, confie-t-elle. J'étais à bout du souffle. Mes parents n'étaient plus en mesure de payer mes études et d'assumer certains de mes besoins. Alors, je me suis mise à courir après les hommes et comme résultat, je suis tombée enceinte." "Cette grossesse n'a pas été bien accueillie par mes parents qui m'ont expulsée. Aujourd'hui, je me débrouille comme une femme seule", poursuit-elle.
Certains parents refusent, en effet, de prendre en charge leur fille avec leur enfant, prenant prétexte de la conjoncture économique. Gratien se montre très dur à l'égard des filles enceintes. "Souvent, elles ne mesurent pas la pauvreté que nous inflige notre gouvernement. Lorsqu'elles ramassent leur grossesse, elles doivent être conscientes des conséquences. Cette fille n'a pas sa place chez moi. Et je dois tout de suite la chasser, car cela m'apporterait trop de charges entre son entretien, sa grossesse et son enfant. Pour ça, je dis non !"
D'autres parents se montrent plus compatissants et condamnent un tel rejet. C'est le cas de Michel M., un père d'une cinquantaine d'années : "Au contraire, si ma fille tombait enceinte, je devrais m'interroger sur ma part de responsabilité dans tout cela. Nous ne devons pas chasser de nos maisons nos filles enceintes sous peine de gâcher leur vie. Si cela arrive, nous devons lui donner une chance de réorienter sa vie et aussi entourer l'enfant d'affection." Des propos qu'approuvent certaines filles mères : "Ce n'est pas un secret : est voleur celui qui se fait attraper. Nous qui avons eu cette mauvaise chance, nous sommes stigmatisées, mal aimées et rejetées. Certaines n'acceptent pas la honte et cherchent donc par tous les moyens à se débarrasser de ce fardeau afin de garder une place dans la société. Pour échapper à la stigmatisation dont nous souffrons que l'État autorise l'avortement !"
Recrudescence et impuissance
Les avortements clandestins se multiplient à Goma, où depuis plusieurs mois des fœtus ont été retrouvés dans des emballages en plastique sur la décharge publique. On en a dénombré 23 en l'espace de six mois. "Faute d'un recensement, nous sommes dans l'impossibilité de retrouver les auteurs de ces meurtres, regrette Festine Kabuo, chef du quartier Mapendo-Nord en commune de Goma, et on ne sait pas distinguer les jeunes filles délinquantes assimilées aux femmes libres."
Depuis décembre dernier, 11 fœtus ont été ramassés dans des caniveaux, et trois bébés étranglés retrouvés dans des poubelles publiques de certains quartiers de Goma : "Trop c'est trop ! lance un pasteur en herbe. Ils ont aussi droit à la vie. Notre constitution est claire : celles qui avortent sont assimilées à des meurtrières. Je demande à tout le monde de revenir à la raison, car 23 cas d'infanticide dans une ville cela me donne la chair de poule." Un avis que partage Joseph Makundi, coordonnateur de la protection civile en ville de Goma.
Malgré ces cris d'alarme, de nouveaux avortements clandestins continuent à être pratiqués et des fœtus découverts ici ou là. Des filles viennent aussi de Bukavu pour avorter clandestinement avec la complicité de collègues de Goma. Le 20 janvier, une jeune Bukavienne, qui venait d'avorter à quatre mois de grossesse, a failli se faire lapider par des habitants du quartier Rutoboko, à Goma. Elle n'a dû son salut qu'à l'intervention de la police.
Alain Wandimoyi/ Syfia Grands-Lacs